La repentance corporative

George E. Rice

(catalogue)

L'idée de repentance corporative pénètre très difficilement dans l'Église. Elle a cependant des assises bibliques indéniables et elle est décrite dans les écrits de l'Esprit de prophétie. En 1988, à l'occasion du centenaire de l'assemblée de la Conférence Générale de Minnéapolis, ce sujet fut traité d'une manière intéressante et réfléchie dans "SERVIR", périodique des pasteurs de langue française. Nous en reproduisons ici le texte, pensant qu'il pourrait faire tomber quelques préjugés à cette égard.



Est-il nécessaire que les responsables actuels de l'Église se repentent pour les péchés de leurs prédécesseurs ? Est-il nécessaire que l'Église dans son ensemble se repente pour ce qui s'est passé en 1888 ?

En cette année 1988, beaucoup d'adventistes songent à la session historique de la Conférence Générale, qui se déroula voici un siècle à Minneapolis. On n'a pas encore entièrement compris ce qui se produisit à cette rencontre, mais les lettres et les manuscrits d'Ellen White montrent qu'une sérieuse erreur a été commise. Pendant de nombreuses années, certains membres d'Église ont insisté sur la nécessité d'une repentance collective pour les torts de la génération des dirigeants de l'Église de 1888. Ils se sont appuyés sur trois propositions pour justifier leur appel à une telle repentance:

1) Lors de la session de 1888 de la Conférence Générale, l'Église a péché en rejetant le message de la justification par la foi.

2) Elle ne s'est jamais repentie de ce péché.

3) Puisqu'elle forme un tout, une véritable unité globale, l'Église actuelle ne recevra pas la pluie de l'arrière-saison tant qu'elle ne se repentira pas corporativement de la rébellion manifestée à Minneapolis.

D'autres articles (dans ce numéro de SERVIR) parlent de l'histoire de la session de la Conférence Générale de Minneapolis: c'est pourquoi je n'en ferai rien ici. Cependant, les implications de la nature collective du Corps du Christ méritent une attention approfondie de la part de l'Église.

L'identité communautaire est-elle une conception biblique saine? Et s'il en est ainsi, quelle compréhension du problème des écrits d'Ellen White peuvent-ils nous apporter?

L'exemple le plus évident de responsabilité corporative dans l'Ancien Testament est sans doute l'histoire d'Acan. Josué avait donné à l'armée d'Israël des instructions précises sur la conduite à tenir lors de la prise de Jéricho: La ville sera dévouée à l'Éternel, par interdit, elle et tout ce qui s'y trouve... Gardez-vous seulement de ce qui sera dévoué par interdit... Tout l'argent et tout l'or, tous les objets d'airain et de fer sont consacrés à l'Éternel, et entreront dans le trésor de l'Éternel" (Jos. 6:17 à 19).

Malgré ces ordres bien définis, Acan s'empara des objets défendus et les cacha sous sa tente. En décrivant le péché de cet homme, la Bible utilise des termes corporatifs: "Les Israélites commirent une faute grave à propos des biens que le Seigneur avait interdit de prendre... C'est pourquoi le Seigneur fut pris de colère contre les Israélites" (Jos. 7:1 - Version B.F.C.). Cette colère eut pour conséquence la défaite d'Israël à Aï. Quand Josué se jeta la face contre terre devant Dieu, Dieu lui dit que toute la nation avait péché: "Israël a péché; oui, ils ont transgressé mon alliance, celle que je leur avais prescrite; oui, ils ont pris de ce qui était interdit, ils en ont même volé, camouflé, mis dans leurs affaires" (Jos. 7:11).

L'identité communautaire se manifeste aussi dans l'invocation de Salomon lors de la dédicace du temple (2 Chr. 6:24 à 39). Elle est également incluse dans la réponse de Dieu à la prière du roi pour la collectivité: "Si mon peuple sur qui est invoqué Mon nom s'humilie, prie, et cherche Ma face... Je l'exaucerai des cieux, Je lui pardonnerai son péché" (2 Chr. 7:14). Il en est de même pour les supplications de Daniel (ch. 9), et d'Esdras (Néh. 9). Tous deux reconnaissent que les rois de Juda, les princes, les prêtres et les lévites avaient péché et s'étaient montré rebelles envers l'Éternel. De plus, ces hommes de Dieu vont jusqu'à se considérer aussi coupables que ceux qui se sont révoltés. "Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité", s'exclame Daniel (9:15). Tu as été juste dans tout ce qui nous est arrivé, car Tu t'es montré fidèle, et nous avons fait le mal" confesse Esdras (Néh. 9:33).

Dans la première épître aux Corinthiens (12:2 à 27) Paul souligne que l'Église est le corps du Christ: "Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui, si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui "(ver. 26). Les déclarations de l'apôtre sur les dons spirituels dans Romains (12:4 à 8) et Ephésiens (4:1 à 16) sont à comprendre dans le contexte du corps corporatif.

Notre doctrine de la nature de l'homme et de la nature du péché est basée sur le concept de l'identité corporative, énoncé dans les passages bibliques suivants: "Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que tous ont péché" (Rom. 5:12). "Comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s'étend à tous les hommes. Car, comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même, par l'obéissance d'un seul beaucoup seront rendus justes" (Rom. 5:18, 19).

En présentant Jésus comme grand prêtre, Paul démontre que la prêtrise de Melchisédek était supérieure à la prêtrise lévitique. Il peut le faire en partant du principe de l'identité corporative. "De plus, Lévi, qui perçoit la dîme, l'a payée, pour ainsi dire, par Abraham; car il était encore dans les reins de son père, lorsque Melchisédek alla au-devant d'Abraham" (Héb. 7:9, 10).

La compréhension d'Ellen White

En 1904 (1er Mars), dans le Southern Watchman parut une série de 19 articles d'Ellen White parlant de Néhémie, d'Esdras et du réveil spirituel qui se produisit sous leur direction. Dès les premières phrases du premier article, elle fait état du principe de l'identité corporative: 

"Parmi les enfants d'Israël dispersés en pays païens, à la suite des soixante-dix ans de captivité, il y avait des patriotes chrétiens -des hommes fidèles aux principes divins- qui estimaient que servir Dieu était plus important que tous les avantages terrestres; des hommes prêts à honorer le Tout-Puissant, même au risque de tout perdre; ces hommes devaient pourtant souffrir avec les coupables."

Dans le dernier article de cette série (12 Juillet) apparaît la déclaration suivante:

"Esdras et Néhémie s'humilièrent à plusieurs reprises devant Dieu, confessant les péchés de leur peuple, et implorant le pardon comme s'ils avaient été eux-mêmes les transgresseurs." 

Au travers de toute cette série d'exposés, Ellen White décrit la responsabilité des dirigeants de l'Église à l'intérieur du corps spirituel du Christ.

Ainsi la Bible et les écrits d'Ellen White présentent le peuple de Dieu comme un groupe bien soudé.
Dans notre étude sur la repentance corporative, nous devons tenir compte de deux autres concepts:

1) La punition divine s'étend à tout le corps du peuple de Dieu, et

2) Une génération ultérieure peut avoir a supporter la culpabilité d'une génération précédente.

Il est clair que les membres du corps corporatif qu'est le peuple de Dieu partagent le châtiment. Les Israélites de la génération d'Acan ont dû subir le déplaisir divin pour le péché d'Acan. Des "patriotes chrétiens" tels que Daniel et ses trois amis furent emmenés captifs à Babylone à cause des péchés de Juda, aussi bien les péchés passés que les présents. "Ces hommes devaient souffrir avec les coupables", nous dit soeur White. Mais souffrirent- ils pour avoir été au nombre des rebelles ?

Il nous faut être prudents et ne pas confondre châtiment partagé et culpabilité partagée. Ces deux notions sont des expériences corporatives, mais différentes l'une de l'autre.

La culpabilité d'une génération peut-elle être reportée sur une autre génération ? Jésus accusa les chefs religieux d'être "les fils de ceux qui ont tué les prophètes" (Mat. 23:31), et il laisse sous-entendre qu'ils pourraient en subir le châtiment lorsqu'il dit: "que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel. Je vous le dit en vérité, tout cela retombera sur cette génération" (Mat. 23:35, 36). Il est évident que ce ne sont pas ces hommes qui ont tué Abel, Zacharie ou l'un des autres martyrs. Comment peuvent-ils être considérés comme coupables?

A ce sujet, la servante du Seigneur écrit: "Jésus a déclaré que les Juifs de son temps étaient coupables de tout le sang des saints hommes versé depuis Abel, parce qu'ils avaient le même esprit et faisaient la même oeuvre que les meurtriers des prophètes". C'est parce que les chefs religieux cherchaient à verser le sang du Christ, et qu'ils étaient animés de l'esprit qui poussa les générations précédentes à tuer les messagers de Dieu, qu'ils partageaient aussi la culpabilité de leurs ancêtres.

Parlant des réactions des Juifs au discours des apôtres après l'ascension du Sauveur, Ellen White nous dit encore: 

"Ces enfants ne furent pas condamnés pour les péchés de leurs parents, mais si, en dépit de toute la lumière accordée à leurs parents, ils rejetaient cette connaissance supplémentaire, ils devenaient participants des péchés des parents, et remplissaient ainsi la mesure de leur iniquité".

Il est à noter que cette dernière phrase comprend deux propositions: la principale: "Les enfants ne furent pas condamnés pour les péchés de leurs parents"; suivie d'une autre, qui exprime une condition sous laquelle les enfants partagent la culpabilité de rejeter Jésus, tout comme le firent leurs parents: "Quand ayant la connaissance de toute la lumière accordée à leurs parents, ils rejetèrent la lumière supplémentaire qui leur fut donnée, ils devinrent participants des péchés des parents".

Ainsi la culpabilité d'une génération peut être aussi portée par une génération ultérieure, si celle-ci s'obstine à pratiquer les péchés de la génération précédente. Si les chefs religieux avaient accepté Jésus, ils n'auraient pas partagé la culpabilité de ceux qui les avaient précédés. Si les Juifs qui entendirent la prédication des apôtres après l'ascension de Jésus avaient accepté Jésus pour Sauveur, ils n'auraient pas été considérés comme coupables, ainsi que leurs parents l'avaient été."

Repentance corporative

L'Église d'aujourd'hui, en vertu de son identité corporative, est-elle tenue de se repentir des péchés commis par ses ancêtres spirituels à Minneapolis?

Si, comme l'écrit Ellen White, les enfants ne sont pas condamnés pour les péchés des parents, ils peuvent difficilement se repentir pour une transgression dont ils ne sont pas les auteurs. Mais alors, que penser des confessions corporatives exprimées par Daniel et Esdras?

Une lecture attentive nous révèle qu'il s'agissait de prières d'intercession.

Nous relevons les phrases suivantes dans celle de Daniel:

1. Au sujet des péchés de son peuple: "Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité, nous avons été méchants et rebelles, nous nous sommes détournés de Tes commandements et de Tes ordonnances" (9:5). "Seigneur, à nous la confusion de face, à nos rois, à nos chefs et à nos pères, parce que nous avons péché contre Toi" (9:8).

2. Daniel intercède pour son peuple et demande le pardon pour celui-ci : "Seigneur, écoute! Seigneur, pardonne!" (9:19).

3. Le fardeau de Daniel s'exprime par l'appel qu'il adresse à Dieu pour lui demander de supprimer le châtiment que lui et son peuple subissent en qualité de groupe, à cause de leurs péchés et de ceux des générations précédentes. "Seigneur, selon Ta grande miséricorde, que Ta colère et Ta fureur se détourne de Jérusalem, de Ta  montagne sainte; car, à cause de nos péchés et des iniquités de nos pères, Jérusalem et Ton peuple sont en opprobre à tous ceux qui nous entourent" (9:16).

La prière d'Esdras ressemble beaucoup à celle de Daniel. Le prophète reconnaît les péchés passés et présents de son peuple, et intercède pour que Dieu éloigne le châtiment qui échoit à Israël en tant que collectivité (Néh. 9). Aucune de ces prières ne soutient l'idée qu'une génération se repent pour les péchés d'une autre génération. Daniel reconnaît qu'il existe une culpabilité partagée: "...à cause de nos péchés et des fautes de nos pères" (9:16). "Je parlais encore, je priais, je confessais mon péché et le péché de mon peuple d'Israël" (9:20), dit-il. Ces prières, cependant, illustrent le fait que Dieu traite son peuple comme un ensemble, un corps corporatif, et que le châtiment est partagé par toute la communauté.

De même, la déclaration de soeur White à la page 28 de la Tragédie des Siècles ne peut venir à l'appui de l'idée qu'une génération ultérieure doit de repentir pour les péchés d'une génération précédente, car elle ne participe aux péchés des parents que si elle persiste dans les mauvaises voies de ceux qui l'ont précédée. En effet, en participant à ces péchés, la génération ultérieure en prend sur elle la culpabilité, mais ne devient pas pour autant responsable des transgressions de la génération précédente. La responsabilité des enfants est de se repentir de leurs propres péchés. S'ils le font, ils échappent à la culpabilité de la génération précédente.

Pendant la session de la Conférence Générale de 1888, il y eut un débat sur la justification par la foi, et sur la question de savoir quelle est la loi désignée dans l'épître aux Galates (3:24 à 26) comme étant notre pédagogue (version Segond). Ce débat dégénéra rapidement en une lutte amère entre la "vieille garde" et les partisans de Jones et Waggoner. Ellen White qui soutenait la position de ces derniers sur la justification par la foi devint l'objet de moqueries et de mépris (voir Ms 24, 1888). Son rôle de messagère du Seigneur, l'intégrité et la véracité de ses témoignages furent remis en question.

Les sentiments de jalousie et de haine qui entraînèrent le rejet des conseils de Dieu correspondent à ce que l'on a appelé: "l'Esprit de Minneapolis". La justification par la foi est plus qu'une doctrine; elle est une relation vivante avec Jésus, qui engendre l'amour pour Dieu et le prochain. L'esprit de Minneapolis est totalement étranger à la justification par la foi.

Cette attitude de résistance et d'hostilité empêcha le Saint-Esprit d'accomplir l'oeuvre prévue par Dieu. Après la session, les délégués véhiculèrent l'esprit de Minneapolis jusque dans leurs églises, à travers leurs champs de travail respectifs.

Si l'Église fait preuve aujourd'hui de la mentalité de Minneapolis -la résistance aux "témoignages" et leur rejet, ainsi que de sentiments d'hostilité et d'amertume entre les fidèles- nous sommes aussi coupables que la génération qui nous a précédés. Mais si nous ne suivons pas ces mauvais exemples, nous nous dégageons de la culpabilité partagée, même si nous supportons encore aujourd'hui cette punition collective qu'est le délai apporté au retour de Jésus. Alors qu'en continuant à pécher, une génération peut partager la culpabilité de celle qui l'a précédée, chacune est responsable de son propre comportement: la repentance n'est valable que pour ceux qui ont réellement commis l'offense.

MATIÈRE A REFLEXION:

1. Mentionnez les similitudes importantes entre le péché d'Acan et ce qui s'est passé à Minneapolis en 1888.

2. En quel sens les membres d'une église peuvent-ils tous souffrir pour un seul ?

3. Pourquoi les innocents doivent-ils si souvent souffrir avec les coupables ?

4. Pourquoi Jésus dit-il que la culpabilité des générations précédentes reposait sur les chefs religieux de Son temps? Comment auraient-ils pu éviter de partager cette culpabilité?

5. Quelle est la différence entre culpabilité partagée et responsabilité partagée ?

6. Que devons-nous faire aujourd'hui pour être sûrs de ne pas participer aux attitudes coupables qui ont donné naissance à "l'esprit de Minneapolis"?

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